Musée de la Vie wallonne

Musée de la Vie wallonneMusée de la Vie wallonneMusée de la Vie wallonneMusée de la Vie wallonne

Focus

Une curieuse pièce de la garde-robe féminine

Mantelet de dame en coton imprimé, entièrement bordé d'un volant plissé et garni d'un vaste capuchon froncé à l'arrière de la tête, vu de face, fin du 18e siècle

d'une mode à l'autre...

Quel est donc ce drôle de vêtement féminin datant de la fin du 18e siècle ?

Réalisé en coton écru imprimé de fleurs de différentes variétés de couleur rouge ou bleu clair, il est entièrement bordé d'un petit volant plissé.

Trop court dans le dos pour être une cape, il est muni de longs pans étroits qui retombent devant. Mais on ne peut le confondre avec une écharpe puisqu'il est garni d'un capuchon.
Couvrant les épaules et les bras, il appartient bien à la famille des mantelets.

Les dames s'en servait comme vêtement de dessus, utilisant le vaste capuchon pour protéger leur imposante coiffure. Ou peut-être simplement leur anonymat, qui sait ?

Ce vêtement, extrêmement bien conservé, mérite à plus d'un titre que l'on s'y intéresse. Issu des collections de textile du Musée de la Vie wallonne, il est tout d'abord l'une des rares pièces du 18e siècle que notre institution, créée en 1913, recèle. De plus, il illustre parfaitement cette fin de siècle marquée par les nombreux bouleversements politiques, économiques, techniques et sociétaux qui menèrent à la fin de l'Ancien Régime et à la Révolution.

L'Angleterre comme référence !

Durant les dernières décennies du 18e siècle et après avoir connu les fastes vestimentaires, dont Versailles fut le principal théâtre, le costume a tendance à s'assagir. Encombrants paniers, riches tissus, flots de rubans et extravagantes perruques chargées de poudre n'ont plus vraiment la cote.

Dès 1775, c'est une vague d'anglomanie, caractérisée par une recherche de simplicité et surtout de commodité, qui déferle sur la mode. Tout ce qui vient d'Outre-Manche connaît alors un succès considérable : les courses de chevaux, les jardins à l'anglaise, le style campagnard et surtout la nature comme source d'inspiration, incitant à décorer les tissus des fleurs les plus diverses. L'écrivain et philosophe Jean-Jacques Rousseau, très critique vis à vis de la société de son époque, prône un retour à la nature dans tous les sens du terme et dénonce les excès de parure.

La robe « à la française », avec ses paniers, son tyrannique corset et sa surcharge décorative n'est alors plus utilisée que comme costume de cour et de grande toilette. Les femmes partagent leur journée entre la robe « à l'anglaise » et la robe-redingote.

La première est assouplie au niveau de la taille par des coutures incurvées suivant les lignes du corps et munie d'une petite tournure matelassée ; celle-ci permet de relever sur les reins l'ampleur du tissu dont on ne savait que faire, les robes étant privées du support des paniers.

Le généreux décolleté, autrefois plongeant sur une poitrine que le corset faisait pigeonner, est désormais masqué par un prude fichu de lingerie.

La robe-redingote quant à elle est directement inspirée du costume masculin. Elle se porte pour les promenades, les voyages ou les parties de chasse, autre occupation très prisée des Anglais.

Mais le plus important emprunt fait à l'Angleterre est sans conteste la mode des chapeaux. De grande taille et couverts de plumes ou de fleurs, ils se portent en toutes circonstances.

Paysanne ou bergère

C'est alors que les élégantes se prennent de passion pour les accessoires en usage dans les classes laborieuses, tels que le bonnet, le fichu et le tablier.

Ceux-ci sont réalisés dans de délicates mousselines brodées, gaze de soie et autres dentelles au fuseau qui en font des pièces d'un raffinement que ne peuvent se permettre les femmes du peuple.

Et même la Reine Marie-Antoinette, jusque-là considérée d'une grande frivolité, n'hésite pas à se faire portraiturer vêtue comme une bergère.

Ces mutations vestimentaires n'annonceraient-elles pas la Révolution toute proche ? Avec le recul, on peut se dire qu'elles laissaient présager que, lorsque les perruques sont tombées, les têtes n'étaient pas loin.

Le triomphe du coton

L'Angleterre quant à elle fait route vers la révolution industrielle qui sera d'une importance capitale pour le textile.

Le Traité de Paris, signé en 1763 et mettant un terme à la guerre de Sept Ans, fait de la Grande-Bretagne une puissance mondiale dotée d'un imposant empire colonial. Ayant contraint la France à lui céder son empire des Indes, elle bénéficie ainsi de l'importante production de coton dont la demande est toujours plus grande. En effet, à l'aube de la Révolution, alors que la société et les mentalités évoluent, la mode est d'avantage aux cotonnades qu'aux luxueuses soieries.

À cette époque, l'industrie textile profite de l'apparition de nombreuses innovations. La mule-jenny (machine à filer la laine), la machine à tisser ou encore l'introduction, en 1785, de la machine à vapeur dans le tissage du coton permettent d'améliorer et d'accroître la production de tissus en tous genres. Cette mécanisation entraîne une baisse des prix de revient du tissu anglais qui conquiert les marchés mondiaux et concurrence les soieries ainsi que les draperies françaises. Celles-ci ne s'en relèveront pas de sitôt.

Conséquence inattendue de cet engouement pour le coton, le dramatique trafic d'esclaves ramenés d'Afrique vers les plantations de coton d'Amérique entache cette florissante industrie.

De toutes les couleurs

Grâce à la découverte, en 1720, du spectre de lumière et des couleurs primaires par Isaac Newton, la gamme des couleurs vives s'est considérablement élargie.

Les teinturiers vont également bénéficier de l'exploitation des grands empires coloniaux dont on ramène des plantes telles que la garance et l'indigotier. Une aubaine pour le textile que l'on peut, grâce à celles-ci, teindre facilement en rouge et en bleu.

L'attrait pour l'Orient et la guerre des indiennes

Le goût pour l'Orient n'est pas neuf. Louis XIV, qui en fut l'un des principaux instigateurs, favorise les échanges avec l'Extrême-Orient par sa politique diplomatique. Les entrées solennelles des émissaires du sultan ou les réceptions d'ambassadeurs affichant des toilettes orientales se multiplient à Versailles. Ses successeurs montreront également un vif intérêt pour les « chinoiseries ». Papiers peints, porcelaines, laques et soieries envahiront la décoration intérieure. L'architecture et la mode ne seront pas en reste.

On ne s'étonne donc pas de cet engouement pour celles que l'on dénomme « indiennes », et qui désignent des toiles peintes venues des Indes. Elles remportent un succès phénoménal. À tel point que les fabricants de tissus tentent de les imiter en imprimant les motifs sur la toile de coton. Ils utilisent, pour ce faire, des matrices en bois gravées qui, une fois recouverte de teinture, agissent comme un tampon d'imprimerie. L'opération est répétée autant de fois qu'il est nécessaire pour couvrir le tissu.

L'augmentation des ventes de toiles imprimées est telle que la concurrence est rude pour les soieries et draperies françaises. Afin de soutenir celles-ci, l'impression sur tissu est interdite depuis le 17e siècle déjà et le sera jusqu'en 1759. Cela n'empêche pas de nombreuses manufactures de toiles imprimées de voir le jour, principalement en Suisse et en Alsace.

Bande-dessinée textile

C'est donc à un Suisse, Christophe-Philippe Oberkamps, que l'on doit la création, en 1760, de l'une des plus importantes manufactures de toiles imprimées à Jouy-en-Josas. Les dénommées « toiles de Jouy » se caractérisent par une répétition de scènes représentant des personnages et des paysages monochromes, rouges ou bleus. Réalisée d'abord à l'aide de scènes gravées sur le bois, puis sur le cuivre, cette production va se mécaniser par l'usage de cylindres de cuivre gravés, ce qui augmentera considérablement la vitesse de production et démocratisera les prix.

Ce succès de la toile de Jouy signe presque le coup de grâce pour l'industrie lyonnaise de la soie qui peine à se maintenir depuis que la mode a changé.

Malgré son apparence plutôt modeste, ce vêtement féminin imprimé de motifs floraux a donc bien des choses à raconter tant il est représentatif des mutations de la mode, des bouleversements politiques et des innovations techniques qu'a connu son époque.

Retrouvez nos plus belles pièces de la collection de textile sur le catalogue en ligne du Musée : http://collections.viewallonne.be/#/query/94c5d868-56f6-43a6-a968-44f53196d820

Bénédicte Lamine, Collaboratrice au département Objets-Réserves (textile)

Légendes :

1. et 2. Mantelet de dame en coton imprimé, entièrement bordé d'un volant plissé et garni d'un vaste capuchon froncé à l'arrière de la tête, vu de face et de profil, fin du 18e siècle.

3. Détail du motif floral imprimé du mantelet.

4. Dame en robe en soie à paniers, dite « à la française », imprimée sur un éventail en tissu brodé à la laine et au fil d'or, orné de personnages en costume du 18e siècle se promenant en barque, 1880-1895

5. Maquette de métier à filer la laine baptisé « mule-jenny ». Modèle conçu en 1800 par John Cockerill pour la firme verviétoise Simonis (échelle 3/20e), maquette réalisée en 2007.

6. Marque de teinturier en poirier, sculptée d'une rosace, servant à réaliser des impressions sur tissus et mouchoir en coton imprimé à l'aide de celle-ci, 1870.

7. Corsage à manches resserrées au poignet, en coton imprimé de fines rayures et de fleurs, garni d'une petite basque et d'un empiècement de coton ajouté à la taille, 1798.

8. Robe empire à taille haute et manches longues en coton imprimé de fleurs. Celle-ci fut portée par la jeune fille chargée d'offrir des fleurs lors de la cérémonie de remise de la Légion d'Honneur au héros liégeois Hubert Goffin, 1808.

9. Robe longue à manches bouffantes en toile de coton imprimée de lignes et de fleurettes, 1821-1823

10. Corsage en coton moucheté imprimé de médaillons contenant des bouquets et de motifs végétaux, garni d'une courte basque bordée d'un plissé, vers 1840.

11. Sac à ouvrage en toile de Jouy matelassée muni d'une anse de même tissu, 1ère moitié du 20e siècle.

1.
2.
3.
4.
5.
6.
7.
8.
9.
10.
11.


Tous les focus