Musée de la Vie wallonne

Musée de la Vie wallonneMusée de la Vie wallonneMusée de la Vie wallonneMusée de la Vie wallonne

Focus

La sidérurgie liégeoise vécue par ses travailleurs

-	Affiche présentant la projection-débat consacrée aux témoins de la sidérurgie liégeoise au Musée de la Vie wallonne, le 17 octobre 2019

Un projet de longue haleine

De 2015 à 2019, le Musée de la Vie wallonne et la Maison de la Métallurgie et de l'Industrie de Liège se sont associés pour réaliser un projet commun d'enquête ethnographique, sous la forme d'une collecte de récits de vie, intitulée Les témoins de la sidérurgie liégeoise.

Pour un musée, la collecte de témoignages permet d'abord de documenter les objets et documents d'archives conservés sur leur utilisation, leur nom, leur datation, leur provenance. Elle alimente aussi l'histoire des entreprises, des techniques ; ainsi que l'histoire économique et sociale. Elle informe sur l'organisation du travail, l'apprentissage et la transmission des savoir-faire. Par sa subjectivité, le témoin humanise la technique et le geste du travailleur prend alors toute sa dimension culturelle. Mener une politique de récolte de témoignages dans ce domaine, c'est avant tout participer au mouvement de reconnaissance de la valeur patrimoniale de l'activité sidérurgique à Liège, dont la phase à chaud est aujourd'hui définitivement fermée.

Les deux musées ont donc souhaité prendre part à la conservation de cette histoire qui risque de s'effacer avec le temps. Dans ce contexte, la trace la plus fragile, celle qui disparaîtra le plus rapidement, est la mémoire individuelle, composée des souvenirs de celles et ceux qui ont côtoyé et fait vivre, parfois pendant des dizaines d'années, ces outils aujourd'hui désertés. La juxtaposition des mémoires individuelles permet la compréhension d'une histoire qui, elle, s'avère collective, commune à toute une région.

Le choix des témoins rencontrés a été orienté par plusieurs critères, afin d'établir un panel représentatif, large et pluriel de ce qu'était la sidérurgie à chaud en région liégeoise durant la seconde moitié du 20e siècle. Toutefois, cette sélection reste partielle puisque, au temps fort de sa production, la sidérurgie wallonne a compté près de 70.000 travailleurs, dont 30.000 à Liège.

En tout, 31 témoins ont accepté de revenir sur leur parcours. Une attention particulière a été donnée afin de donner la parole à des témoins ayant occupé des postes variés au sein de la hiérarchie : ouvriers, contremaîtres, ingénieurs et cadres. La diversité des métiers se reflète également dans ce panel puisqu'ouvrier-fondeur, lamineur, ingénieur de production, directeur des ressources humaines y mêlent leur point de vue, rendent compte de leur manière d'appréhender les outils de la sidérurgie et décrivent l'expérience qu'ils en avaient.

L'environnement particulier de la sidérurgie

Reflet d'une société encore très patriarcale, ce secteur a engagé particulièrement peu de femmes. Toutefois, il a été possible de rencontrer l'une d'elles, entrée dans ce monde masculin grâce à l'informatique, qui offrait dans les années 1960 de nouveaux métiers et donc des possibilités jusqu'alors inédites de développement au sein de ces entreprises qui ont vu se généraliser l'automatisation des outils. De plus, l'industrie liégeoise a longtemps eu recours à une importante immigration économique afin de faire tourner ses outils. Les nationalités d'origine de plusieurs des travailleurs rencontrés, nés en Italie, en Espagne, en Pologne ou encore en Serbie, en témoignent largement. Enfin, la période traitée par cette collecte de récits de vie couvrant plus d'un demi-siècle, durant lequel cette industrie s'est profondément transformée, un soin particulier a été pris pour rencontrer des personnes âgées qui ont pu évoquer des mondes industriels aujourd'hui tout à fait disparus.

Une sélection de témoignages divers

En octobre 2019, une soirée de projection au Musée de la Vie wallonne, riche en débats, a réuni des personnes intéressées à la thématique de la sidérurgie ainsi qu'un nombre important de ces témoins. À cette occasion, cinq chapitres thématiques ont été abordés, sous la forme de films constitués d'extraits des interviews réalisés tout au long de la phase de collecte. Ces courts montages, présentés ci-dessous, ne sont qu'un reflet partiel et subjectif de la diversité des thèmes et des points de vue qui ont été exprimés. Pour accéder à l'intégralité de la matière première collectée et retranscrite dans le cadre de l'enquête, vous pouvez vous rendre sur le catalogue en ligne des collections, en cliquant sur ce lien.

1. Regards sur l'entrée à l'usine

Si une carrière au sein d'une entreprise sidérurgique est loin d'être linéaire, l'entrée à l'usine reste un moment marquant dans le parcours de la plupart des témoins. Autrefois, le travail à l'usine, particulièrement au sein d'une entreprise de métallurgie en région liégeoise offrait la perspective d'un emploi stable. La recherche d'emploi pouvait s'avérer assez brève et la formation parfois rudimentaire avant d'être directement plongé dans le bain de la sidérurgie à chaud. Les études, l'héritage familial, l'importance de Cockerill dans le panorama industriel, l'immigration : les raisons de travailler dans la sidérurgie sont multiples et révélatrices de la mentalité d'une époque et de son contexte économique.

Cliquez ici pour visionner la vidéo.

2. Regards sur la vie quotidienne

Le travail à l'usine est marqué par des rites, des traditions, des habitudes qui rythment la vie quotidienne. Le temps passé auprès de ses collègues tout au long d'une carrière étant parfois plus long que celui passé auprès de sa famille, il est naturel que les anecdotes de la vie quotidienne, à la fois dans l'usine et en dehors, prennent une grande place dans le corpus car du cadre professionnel découle souvent tout un pan de la vie sociale des témoins. Parmi les thématiques développées, reviennent souvent celles de l'organisation du travail, des relations entre collègues ou avec la hiérarchie, des rapports au syndicalisme et aux grèves. Le souvenir précis de la journée considérée comme la meilleure ou comme la pire de la carrière met en évidence, à travers de nombreux récits d'accidents parfois mortels, à quel point la dangerosité du métier de sidérurgiste, souvent pratiqué dans une chaleur infernale, fait aussi partie de la vie quotidienne.

Cliquez ici pour visionner la vidéo.

3. Regards sur les outils et leurs techniques

Le processus de réduction du minerai de fer, afin d'obtenir une bobine d'acier, requiert l'utilisation de nombreux outils et infrastructures industriels qui, avec le temps, sont devenus de plus en plus imposants, occupant de vastes espaces de part et d'autre du bassin liégeois. Les fumées, les odeurs et les bruits ont impacté le paysage et l'environnement liégeois. La cokerie, l'agglomération, le haut-fourneau, l'aciérie, la coulée continue et le laminoir à chaud, sans oublier la traction, chaque outil avait son fonctionnement propre et a connu un inéluctable processus de mécanisation et d'automatisation. Il serait impossible et peu pertinent de tenter, à travers ces témoignages, de proposer une description stricte et complète du fonctionnement de ces mastodontes. Toutefois, le récit de ceux qui les ont fréquentés quotidiennement les incarne, leur rend vie. Il dévoile le rapport humain, une forme d'attachement, à ces « objets » si particuliers.

Cliquez ici pour visionner la vidéo.

4. Regards sur les conditions de travail

La comparaison des deux photographies illustrant l'affiche du projet reproduite plus haut, qui montre l'équipement d'un fondeur travaillant en sabots de bois au bord de la route de coulée à la fin des années 1950 par rapport à son homologue en 2005 est éloquente. L'évolution des conditions de travail, des normes de sécurité, de la prévention et de la gestion des accidents est stupéfiante entre les récits collectés auprès des plus anciens travailleurs, entrés à l'usine durant la décennie 1960, et les plus jeunes. Ce chapitre aborde aussi la question des salaires et des avantages liés à l'organisation du travail par pause, bien plus rémunérateur que l'horaire classique de jour, et qui détermine dès lors une forme de hiérarchie à l'intérieur du corps ouvrier.

Cliquez ici pour visionner la vidéo.

5. Regards sur le destin de Cockerill

La sidérurgie à chaud liégeoise et Cockerill sont intiment liés. Bien que de nombreuses autres entreprises aient joué un rôle économique majeur dans l'histoire industrielle de la région, comme Ougrée-Marihaye, Espérance-Longdoz ou la Providence, c'est le nom de Cockerill qui, au fil des fusions, s'est imposé et a le plus marqué les esprits. Ce nom, c'est la description d'une culture d'entreprise différente de celle des autres groupes. Il demeure une référence, parfois synonyme de fierté ou de pénibilité du travail, pour de nombreux « cockerilliens » qui ont vu leur père, leurs grands-pères et leurs oncles travailler avant eux dans les usines sidérurgiques liégeoises.

Le devenir de ce groupe, Cockerill – devenu Cockerill-Sambre en 1981, racheté par Usinor en 1998, transformé en Arcelor en 2002 puis en ArcelorMittal en 2006, repris en partie en partie par Liberty depuis 2019 –, c'est aussi une histoire à raconter où les points de vue divergent et s'affrontent, qui exigera dans les années à venir le recul critique et la rigueur de la discipline historique pour en tirer des leçons.

Cliquez ici pour la visionner.

Anne Stelmes, Responsable des Collections, MMIL

Jean-Louis Postula, Responsable des Archives filmées et sonores, MVW

Pour plus d'informations sur les activités de la Maison de la Métallurgie et de l'Industrie de Liège, vous pouvez vous rendre sur leur site internet www.mmil.uliege.be.

Légende des illustrations :

1. Affiche présentant la projection-débat consacrée aux témoins de la sidérurgie liégeoise au Musée de la Vie wallonne, le 17 octobre 2019.

2. Wagon-thermos transportant de la fonte liquide entre le haut-fourneau et l'aciérie, Liège, 1963, Fonds Desarcy-Robyn.

3. Des ouvriers de la cokerie de Flémalle faisant cuire un cochon dans le four à coke, années 1970.

4. Ricardo Contreras, fondeur au HF6 de Seraing, pose devant « son outil », années 1980.

Vidéo

Affiche présentant la projection-débat du 17-10-2019
Wagon-thermos transportant de la fonte liquide
Des ouvriers de la cokerie de Flémalle
Ricardo Contreras, fondeur au HF6 de Seraing


Tous les focus