Musée de la Vie wallonne

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Focus

La pi(er)re des calamités ?!

Buvard destiné à inciter les enfants à suivre les 12 commandements de la santé

Quand les faits marquants de l'année 1740 nous arrivent de manière lapidaire...

Dans la cour des Mineurs du Musée de la Vie wallonne se dresse une colonne mystérieuse, appelée la « pierre des calamités ». Peut-être ne l'avez-vous jamais remarquée ? Encastrées dans le mur adossé à la colline adjacent le théâtre de marionnettes, les inscriptions lapidaires ont subi les aléas du temps et demandent quelques minutes pour que le message laissé par le chroniqueur puisse être déchiffré. Pourtant, l'effort est gratifiant, tant le contenu de cette inscription lapidaire est interpellant !

L'origine de cette pierre

Commençons par présenter notre objet. Avant de trouver refuge au Musée de la Vie wallonne en 1973, cette pierre commémorative était enchâssée dans un immeuble de la place Xavier Neujean à Liège. On ignore l'emplacement primitif de cette pierre : on peut supposer qu'elle devait se situer dans le quartier de la paroisse de Saint-Jean l'Evangéliste.

Au 19e siècle, elle a été remployée comme pied-droit de l'entrée principale de la résidence de la famille Lechat (de 1830-1840 à 1867). Cette demeure a ensuite été habitée par les Filles de la Charité ou Sœurs de Saint Vincent de Paul qui l'ont occupée jusqu'en 1973. L'immeuble menacé de démolition, la pierre est sauvée et un emplacement lui est trouvé dans la cour des Mineurs.

Quel est le contenu de cette pierre commémorative ?

[hae sUnt CaLaMItates

QUIBUS nos IUste

affLIXIT DeUs

Très rude HIVER

Interruption De

Commerce différents

Avec les Pais Bas

Entrée des Prussiens

Dans notre Pais

Mort du Pape

Clément XII

De l'Empereur Charle

VI & De Laczarine

Grandes Eaux A 3

Reprise En XBre

1740]

L'auteur de ce poignant message énonce les calamités qui ont affecté Liège en 1740, année précisée par le chronogramme, sous le règne du prince-évêque Georges-Louis de Berghes. On peut y lire des mots surprenants : « IUste aLIXIT... » : ce n'est que justice si le peuple liégeois fut affligé de ces calamités. Est-ce de cette façon qu'on maintient un peuple docile et repentant ?

Autre inscription : « Très rude hiver ». L'hiver de l'année 1740 a en effet été particulièrement rigoureux et a commencé tôt (15 octobre 1739). Pendant six semaines, la Meuse est gelée, au point que des chariots remplis de houille peuvent l'emprunter comme une route. Les bras de la Meuse et ses affluents seront recouverts de glace jusqu'à la fin février. À partir de ce moment-là, le froid est moins intense mais les tempêtes qui prennent place entravent la vie de la cité. Enfin, le dégel tant attendu entraine des inondations qui marquent les esprits : la cathédrale conserve sur ses murs les marques de différentes crues, dont celle de 1740 (qui a atteint 117 cm) !

Le printemps et l'été froid qui succèdent à ce rude hiver ont entraîné de mauvaises récoltes qui ont pour conséquence la disette et des émeutes de subsistance à Liège, mais aussi dans d'autres pays d'Europe comme en Suède et en Irlande.

Figure aussi sur la pierre la mention de l'interruption du commerce avec les Pays-Bas autrichiens et la funeste entrée des Prussiens dans le Pays de Liège. En effet, Frédéric II, roi de Prusse, réclame ses droits sur la seigneurie d'Herstal : le 11 septembre 1740, ses troupes envahissent Maaseick. Quelques semaines plus tard, le prince-évêque de Liège est contraint de racheter au prix fort ce territoire : la transaction atteint la somme de 850.000 florins liégeois – ce qui représentait le montant d'un budget annuel habituel pour la principauté. Enfin, le comte de Harrach, ministre plénipotentiaire des Pays-Bas autrichiens, interdit tout commerce avec Liège ce qui achève de ruiner l'économie liégeoise.

Ce curieux monument lapidaire rappelle également la mort de trois souverains en 1740 : le pape Clément XII, l'empereur Charles VI et la tsarine, Anna Ivanovna.

Pour terminer, le chroniqueur mentionne les inondations importantes que la Cité ardente connait à trois reprises dans le courant du mois de décembre 1740.

Ce millésime particulièrement pénible pour la population liégeoise a donc marqué les esprits, au point de faire graver tous ces événements sur une pierre longue de trois mètres, pour ne jamais les oublier. D'après l'historien local Théodore Gobert, d'autres pierres similaires auraient jadis été installées à Liège.

Souvenirs d'autres malheurs !

Qui dit calamité ne peut s'empêcher de penser aux malheurs provoqués par les épidémies. Au fil des siècles, les épidémies et pandémies se sont succédé et ont suscité effroi et sidération. Qu'il s'agisse des différentes formes de peste durant l'Antiquité et le Moyen-Âge, du choléra au 19e siècle, de la grippe espagnole en 1918, de la grippe de Hong-Kong en 1968, du SIDA ou d'Ébola dans la seconde moitié du 20e siècle – pour n'en citer que quelques-unes –, la transmission des maladies infectieuses est une constante historique.

Autrefois, considérée comme un châtiment divin, l'épidémie a été perçue comme la métaphore des maux de la société. Il n'y a pas d'épidémie sans pestiféré ni sans quête de bouc émissaire. Dans le roman d'Alessandro Manzoni Les Fiancés, publié entre 1821 et 1842, un chapitre consacré à l'épidémie de peste qui frappe Milan en 1630 évoque, avec une troublante modernité, des faits que nous vivons depuis quelques semaines : la peur de l'étranger, la recherche compulsive du soi-disant patient zéro, la chasse aux faux remèdes, les rumeurs incontrôlables, les théories historiques fantaisistes (comme celle des pandémies mortelles qui éclateraient tous les cent ans et se produiraient toutes les années 20), la razzia sur les biens de première nécessité, l'urgence sanitaire…

Depuis cette époque, la médecine a fait des progrès : nous avons la science moderne de notre côté. Parmi les nombreuses recherches aujourd'hui en cours, mentionnons le test automatisé de détection du SARS-CoV-2 mis au point par l'Université de Liège qui va permettre d'augmenter de 2.000 tests la capacité quotidienne de détection du coronavirus à Liège.

Par ailleurs, des élans de solidarité sont à souligner et des initiatives citoyennes émergent : la confection de masques artisanaux, la fabrication de visières de protection par le Cré@lab de la Province de Liège, les systèmes d'entraide pour les personnes défavorisées ou isolées, etc.

Une fois que le confinement sera terminé et que nous aurons retrouvé notre quotidien, quels souvenirs conservera-t-on de cette période ? Est-ce qu'une version contemporaine de la pierre des calamités sera envisagée, afin de ne pas oublier la crise du Covid-19 et ses conséquences ?

Dans sa mission de sauvegarde des traces du passé et du présent, le Musée de la Vie wallonne réfléchit déjà à la collecte d'archives, d'objets en lien avec la crise sanitaire liée au coronavirus. À titre d'exemple, les dessins réalisés par les enfants « tout ira bien », les affiches de magasin annonçant les nouvelles dispositions sanitaires à respecter, un masque artisanal, etc. nous intéressent. Toutes vos suggestions sont les bienvenues. Merci d'adresser votre proposition à centrededocumentation@viewallonne.be

En attendant la collecte physique de ces items, le Musée vous souhaite la mise en quarantaine la plus sereine possible.

C.Q., Conservatrice du Musée de la Vie wallonne.

Légendes des photos :

1 et 2 : Photos de la pierre des calamités dans la cour des Mineurs, Liège, 2020.

3 et 4 : Pasquèye évoquant l'annulation de la foire de Liège, en 1892, par crainte d'une épidémie de choléra.

5 : Chanson en wallon évoquant le choléra à Liège en prétextant qu'il s'agit d'une invention de médecins, 1833.

6 : Affiche de la Ville de Liège annonçant que des séances gratuites de vaccination contre la variole seront organisées à partir du 5 avril 1928, à Liège.

7 et 8 : Image pieuse avec oraison à Saint Roch et prière au verso, 1849.

9 : Gourde avec l'effigie de saint Roch, 19e siècle.

10 : Buvard destiné à inciter les enfants à suivre les 12 commandements de la santé.

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