



« La plus grande attraction du monde » ?
Dans la grande histoire se nichent souvent des destinées remarquables. Des entreprises prometteuses qui se soldent par des déconvenues, des démarches inopinées qui se révèlent a posteriori ou des initiatives bancales qui débouchent sur des plébiscites. Un cas interpellant, parmi d'autres, se présenta à Liège-Exposition. Nous l'écrivions dans la première partie de ce focus, face aux pavillons nationaux, régionaux et thématiques valorisant qui un pays qui un domaine des connaissances, plusieurs manèges et attractions prirent place sur le champ de foire. L'un d'entre eux fut édifié à l'extrémité sud du quartier du Vieux-Liège. Il s'agissait d'une reconstitution étonnante, celle d'une houillère, en référence à cette industrie multiséculaire qui marquait alors les alentours de la ville.
Une partie de la renommée de Liège s'était bâtie sur le rayonnement régional et international de ses charbonnages. À tel point que des personnalités étrangères, curieux et savants, s'y déplaçaient pour découvrir ce milieu si fascinant[1]. En 1905, un ouvrage touristique de Liège soulignait combien les cheminées, terrils et houillères étaient autant de merveilles à admirer au même titre que les bois, collines, fleuve, rivières et rochers, et formaient tous ensemble « un panorama d'une singulière grandeur[2]. » Ce guide conseillait aux plus vaillants des voyageurs intéressés de s'adresser tout de go à un directeur de charbonnage pour descendre au fond, directeur « qui leur répondra de façon aimable… oui ou … non […][3] ».
Une des premières études pour l'installation de l'Exposition universelle dans le quartier des Vennes, publiée en 1899, envisageait même l'inclusion dans son périmètre de la houillère des Aguesses (Angleur), implantée à quelques encablures, comme « un précieux élément d'attraction[4] », sans que cela put se réaliser.
Quoiqu'il en fût, les industries en général et l'industrie charbonnière en particulier, véritables socles du développement économique de nos contrées, se taillaient une part significative dans cette exposition. Les industries extractives belges et étrangères y totalisaient pas moins de 367[5] exposants !
Outre les présentations et démonstrations « classiques » de machines dans les halls de l'industrie, plusieurs pavillons mettaient les mines à l'honneur mais, il faut l'admettre, à destination d'un public averti tel que des ingénieurs des mines, des directeurs d'exploitation ou des amateurs de cartographie minière, bref des sectateurs d'évolutions techniques en pamoison. À Fragnée, on pouvait par exemple observer le pavillon de l'Internationale Bohrgesellschaft d'Erkelenz (Allemagne), active dans les creusements et les sondages miniers qui allaient mettre à fruit des gisements houillers considérables en Campine.
Les arts n'étaient pas en reste. On connaît l'éminente série de photographies intitulée « La houillère », réalisée par Gustave Marissiaux et présentée sur le stand du Syndicat des charbonnages liégeois, son commanditaire. La mine fut encore une intarissable source d'inspiration pour des œuvres comme ces sculptures en staff évoquant les houilleurs, placées sous le portique d'entrée monumental des halls et réalisées par Édouard Deckers, ou pour les supports de promotion de cette grand-messe (affiches, brochures, feuillets, timbres, cartes postales, etc.) sur lesquels on n'hésita pas à convoquer les silhouettes stéréotypées de charmantes botteresses et hiercheuses, passant du statut d'ouvrières sous-payées à celui d'égéries de l'Exposition universelle[7], pour attirer le chaland[8].
Seule dissonance dans cette débauche de couleurs et de grâces, l'affiche dessinée précisément pour la houillère du Vieux-Liège. Œuvre de l'artiste liégeois méconnu Marc Antoine, elle dénote par les tonalités sombres et pesantes qui en émanent. Le préambule de la brochure décrivant cette attraction correspond bien à son atmosphère : « sous la couche épaisse de poussière noire qui les recouvrent, les constructions ont un aspect d'infinie mélancolie. Noirs sont les abords de l'exploitation, noirs sont les chemins qui y donnent accès[9]. »
Il ressortait d'une intention délibérée des initiateurs[10] de la houillère de montrer au profane une réalité des charbonnages sans fioritures, à travers une mine-image présentée à l'époque comme « la plus grande attraction du monde[11] », « la plus grande de l'exposition[12] » et « l'attraction la plus intéressante de l'exposition[13] ».
Nonobstant ces superlatifs tonitruants, ses défenseurs étaient résolus à mettre en lumière un univers ésotérique car si l'on savait à peu près à quoi ressemblait un charbonnage en surface, peu de gens pouvaient se prévaloir d'avoir vu ce qu'il était sous leurs pieds. Ainsi que l'écrivait Ch. Heusy, « pour beaucoup, l'existence du mineur au fond de la ‘bure[14]' est une énigme ; l'extraction de la houille reste quelque chose de quasi mystérieux et dont on ne peut que conjecturer. Comme tout inconnu, elle tente la curiosité, et beaucoup voudraient, qui ne le peuvent, descendre dans la mine et y séjourner quelques heures afin de la visiter entièrement[15]. »
L'existence de la houillère du Vieux-Liège relevait de la nature même de sa thématique et de sa prépondérance, alors que l'industrie charbonnière liégeoise approchait de son apogée[16]. Il n'empêche que le potentiel économique renfermé par cette attraction n'aurait pas été totalement étranger à sa création. Comme le souligne le professeur Marc-Emmanuel Mélon à propos de l'inspiration artistique : « […] le pays noir a toujours exercé une fascination puissante autant sur les créateurs que sur les couches de la population qui lui sont étrangères. […] La mine et les mineurs est un ‘filon' prospère et attractif[17] » ; il y avait donc dans la houillère une bonne dose d'opportunisme, inhérent à toute entreprise.
Toutefois, nous n'avons pas trouvé qui en était l'architecte ni l'instigateur. Ce que l'on peut écrire, c'est que parmi les membres de son ‘comité organisateur' figuraient Marc Antoine, l'affichiste à la fois administrateur et secrétaire général du Vieux-Liège ; Georges Terme, conservateur au palais de l'art ancien et reporter à L'Express[18], quotidien libéral progressiste liégeois ; et O. Hamoir, ingénieur[19] et administrateur du quartier[20]. Son exploitation était dirigée par un dénommé Fauconnier, sur lequel nous n'avons trouvé aucune information. Ces gentlemen avaient-ils des liens avec le monde des affaires charbonnières ? Ce n'est pas impossible. Et c'était de toutes manières le cas des Établissements Albert François de Sclessin (aka Ateliers François), l'un des fournisseurs de machines industrielles les plus connus dans la région, dont les appareils furent exposés et utilisés dans l'attraction du Vieux-Liège[21].
De l'extérieur, pas très engageant[22], on apercevait un ensemble composé de bâtiments de briques rouges[23], d'un chevalement, d'une cheminée, d'une passerelle et d'un terril tronconique ; « les promoteurs n'ont nullement eu pour but de faire œuvre d'artistes : ils ont voulu aussi fidèlement que possible donner l'illusion de la réalité[24]. » Cette illusion se traduisait à l'intérieur par une expérience sensorielle que l'on pourrait qualifier aujourd'hui d'immersive : le charbonnage était en pleine activité !
À leur arrivée, les visiteurs étaient invités à revêtir des tenues adaptées (bourgerons pour les hommes ; long peignoir de toile pour les femmes[25]), protégeant leurs vêtements « civils », et à porter à leur tête des casques de cuir. Les hôtes se dirigeaient ensuite vers une salle des machines, fonctionnant toutes à l'air comprimé, lequel était produit par un compresseur actionné à l'électricité[26].
On passait à la lampisterie où chaque visiteur recevait une lampe de sûreté à flamme de la firme de Hubert Joris (Fabrique liégeoise de lampes de sûreté à Loncin) avant de se diriger vers un puits qui constituait l'aspect le plus spectaculaire de l'attraction : la descente dans une cage, plongée dans l'obscurité. Cette simulation – car les visiteurs descendaient quelques mètres tout au plus, en restant en surface – semblait convaincante et saisissante : « à en juger par le courant froid qui […] fouettait le visage, la descente était rapide[27] » relate Gustave Drèze dans son Livre d'or.
Après cet instant de sensations fortes, les visiteurs entamaient un parcours déployé sur 250 mètres[28], en commençant par un espace évoquant une bacnure, galerie à travers-bancs, où son exiguïté, l'irrégularité de ses parois et de son toit, les canalisations et les rails qui la sillonnaient plongeaient ces touristes d'une heure dans l'environnement de travail quotidien des dizaines de milliers de mineurs du royaume. Les concepteurs avaient, semble-t-il, veillé au moindre détail comme cette porte aménagée dans la galerie pour expliquer le système d'aérage des travaux et le maintien de leur salubrité.
Les excursionnistes devenaient ensuite les témoins de différentes activités minières, conjuguées à des machines en fonction, à travers un dédale « souterrain » : le transport avec un treuil tirant des berlines sur un plan incliné, le creusement de galeries avec des perforatrices manœuvrées par des ouvriers (notamment une perforatrice à percussion Flottmann[29], des perforatrices à bras A. François et Simplex[30]), le soutènement et le remblayage des chantiers, en passant par plusieurs types de voies, pour aboutir dans une taille, c'est-à-dire à l'endroit où était extrait le charbon, lors de la phase d'abattage. Là étaient placés des mannequins en plâtre montrant les attitudes que pouvaient adopter les hommes lorsqu'ils arrachaient le minerai, dépendant de l'épaisseur et de l'inclinaison des veines qu'ils travaillaient : « presqu'à plat ventre[31] », « accroupis en chien de fusil, recroquevillés, […] les membres tordus. C'est ce qui leur voûte la taille […] de garder cette posture des heures entières […][32] ». Venaient enfin l'évacuation de la houille, l'exposition d'une haveuse, machine entamant la couche de charbon pour l'attaquer plus aisément au pic, la découverte d'une locomotive à benzine Deutz puis d'une écurie avec un vieux[33] cheval comptant « 18 ans de bons et loyaux services à fond de mine[34] ».
Pour encourager et récompenser ces hôtes téméraires, la visite était interrompue à mi-parcours par une halte dans une cavité aménagée en bar (« la grotte » …) où – nos ancêtres n'étant, comme nous, pas avares en clichés – des hiercheuses « accortes[35] » y étanchaient les gosiers asséchés, telles des âmes de la Terre bienveillantes.
Alors certes, cette attraction se tenait en un endroit, le Vieux-Liège, qui s'inscrivait dans un édifice de l'ordre du divertissement et du pittoresque, comme ce qui avait été proposé lors d'expositions antérieures, en 1894 dans le Vieil-Anvers, en 1897 dans le Bruxelles-kermesse, ou en 1900 dans le Vieux-Paris, conduisant à une impression de confusion des genres : la houillère du Vieux-Liège était-elle en définitive un outil pédagogique, un lieu de prosélytisme pour rejoindre les légions du sous-sol[36], un moyen de promotion de l'industrie, un manège forain ou un peu de tout cela à la fois ? Tentons d'y voir plus clair.
Premièrement, sa localisation. Financé par une société anonyme éponyme, conçu par l'architecte liégeois J. Bottin[37] et construit par l'entrepreneur anversois Victor Merckx-Verellen[38], le quartier du Vieux-Liège affichait comme ambition d'offrir aux visiteurs un retour au bon vî timps de la principauté, et une synthèse de l'architecture wallonne ancienne, à comprendre ici comme centrée sur le style mosan[39] (gothique et Renaissance pour la plupart). Des figurants déambulaient habillés à la mode du 18e siècle ou travaillaient à l'ancienne à des métiers artisanaux (à l'instar de l'art de la paille tel que pratiqué à Glons[40]), dans un décor construit pour l'essentiel en structures de bois revêtues de pierres ou de briques (ou de matériaux donnant ces impressions).
Ce quartier était en plus agrémenté de boutiques, de salles de concerts, de cabarets et d'autres estaminets, dans lesquels furent organisées de nombreuses manifestations et soirées, noyant probablement l'attraction minière dans un maelstrom d'animations.
Deuxièmement, son audience. Le public accueilli dans la houillère était essentiellement composé des visiteurs de l'Exposition, si l'on excepte les notables et les professionnels qui s'y déplacèrent ou qui y furent conviés lors de son inauguration, le 8 juin 1905. Que recherchaient-ils ? Des émotions ? Du spectacle ? De la découverte ? Une distraction ? Un enrichissement culturel ? Marc-Emmanuel Mélon, professeur émérite de l'ULiège, avance un dénominateur commun aux attractions et, plus largement, aux expositions universelles : « l'idée de voyage[41] », l'exploration d'autres sphères, réelles ou fantasmées. Une exposition universelle est « un monde en miniature, à l'intérieur duquel les déplacements sont rapides : on y prend le tram ou le bateau-mouche comme on prendrait l'Orient-Express ou le Transatlantique[42]. » Avec ce « voyage au centre de la terre[43] », la houillère se serait inscrite dans cette tendance, renforçant la perception d'un manège.
Cependant, elle devait donner à son public un change suffisant au regard du prix payé pour y accéder. Or, en dehors de la descente dans la cage pour la poussée d'adrénaline et l'arrêt à la buvette pour réguler l'ADH, le solde du spectacle semblait relativement scolaire, pour ne pas dire rébarbatif, au regard de ce que l'on présume d'une attraction, principalement basée « sur l'effet et la sensation physique[44] », interpellant « directement le spectateur, badaud occasionnel, sans chercher à l'immerger dans un univers fictionnel[45] », au moyen de « sensations physiques fortes [...] ; fascination [...] ; excitation mêlée de crainte ou de dégoût [...] ; transe et enfièvrement [...] ; enthousiasme et émerveillement [...][46] ». A la lecture des détails de l'attraction, le dessein didactique de la houillère nous parait ici flagrant.
Quant aux modalités d'entrée, sous réserve d'investigations complémentaires, un visiteur ordinaire devait débourser 1 à 2 francs pour pénétrer dans le champ de foire, ce à quoi il ajoutait 20 centimes pour le Vieux-Liège et un supplément pour la visite de la houillère[47]. Qui pouvait/voulait s'offrir une telle dépense ? Un bourgeois ? Un ouvrier ? À cette époque, un mineur gagnait en moyenne 4 francs par jour[48] et aurait eu, théoriquement du moins, les moyens de s'y rendre. Mais en fin de compte, en aurait-il eu seulement le temps ou simplement l'envie ? Bien conscient de la dépense que cela engendrait pour une famille, et suite aux réclamations des ‘habitants' du quartier[49] (i.e. les commerçants et artisans) qui s'étaient probablement plaints d'un manque à gagner, le comité du Vieux-Liège prit la décision de réduire son prix d'entrée à 10 centimes[50] en semaine (c'est-à-dire 50% de moins), après trois mois d'activité, et promit d'étendre cette mesure aux dimanches, jours propices à la visite des « ouvriers et campagnards[51] », dans l'espoir de séduire le plus grand nombre.
Troisièmement, son message. La houillère du Vieux-Liège éludait les sujets qui fâchaient en composant une visite scénarisée et sécurisée, dans un milieu aseptisé libéré des dangers multiples, de la poussière, de la chaleur, de l'humidité, de la sueur et des rats, en résumé « sans les inconvénients qui gâtent toute visite dans une mine exploitée[52] », pour reprendre une phrase d'un article promotionnel paru dans L'illustré wallon. Nulle trace dans les sources d'une dénonciation ni même d'une allusion à la misère ouvrière et aux luttes sociales[53], sauf peut-être dans l'image de l'affiche qui représente « contre toute attente, une des premières évocations des dures conditions de travail dans ce domaine[54] ». C'est que l'attraction devait être en phase avec l'événement international dans lequel elle s'insérait et devait entretenir le mythe d'un métier et de technologies dévoués à une industrie solide et bien tenue.
Est-ce à dire qu'elle trompait le visiteur ? Ce n'est pas si sûr. Si l'on se plonge à nouveau dans la brochure de l'attraction, l'on remarque que son auteur ne cachait pas les périls associés à l'activité minière : les éboulements[55], l'exigence d'un aérage réfléchi servant à l'alimentation des chantiers en air frais et à la dissipation des gaz délétères[56] ou les positions de travail « des plus incommodes[57] » étaient dépeints sans édulcorant mais, et c'est notre appréciation, avec le recul et la froideur d'un analyste.
Force est de constater que, si elle donnait aux visiteurs une occasion d'assouvir leur curiosité en toute confiance, la houillère permettait de découvrir le travail du mineur, plus que le mineur au travail et ses conditions de vie, par un biais à la fois sensationnel et didactique mais qui n'aurait pas été dénué de réalisme, du moins si l'on en croit l'affirmation parue dans le Guide remboursable selon laquelle « de l'avis des ingénieurs et directeurs de charbonnages qui ont visité la houillère, il est impossible de mieux faire[58]. »
La houillère, un succès ?
La houillère du Vieux-Liège se voulait un clou de l'Exposition universelle, un attrait touristique et éducatif, un « musée vivant » d'une industrie toujours florissante. Nous ignorons si la fréquentation fut à la hauteur des espérances.
Plusieurs éléments nous laissent néanmoins penser que le succès ne fut pas celui escompté.
Ce qui interpelle tout d'abord, c'est l'intégration tardive de la houillère au Vieux-Liège ; on en trouve confirmation en comparant les versions des plans d'aménagement du quartier[59]. Le projet de la houillère ne fut déposé qu'à la fin de mois de novembre 1904 auprès de la société Liège-Exposition et soulevait la question de son anachronisme en considération des autres constructions se rapportant à l'Ancien Régime[60].
On est ensuite frappés par le manque de visibilité dont bénéficiait la houillère dans les publications parues à l'époque, alors qu'on la vendait, pour rappel, comme « la plus grande attraction du monde[61] ». Il y eut bien une suite de photographies (nous en avons recensé une dizaine maximum) publiées sous forme de cartes postales par L'Image artistique, manifestement peu répandues ; une brochure illustrée, rédigée par Ch. Heusy, décrivant entièrement l'attraction de la houillère (imprimée à Bruxelles chez A. et G. Bulens) ; deux articles, le premier paru dans le journal Liège-Exposition, LE périodique officiel, dans la foulée de l'inauguration de l'attraction[62], le second publié dans un numéro de L'illustré wallon, une publication d'obédience libérale, de septembre 1905[63]. Mais si les deux premières ont une valeur documentaire indéniable, les deux autres sont essentiellement factuels et apologétiques. Nous sommes en outre bien en peine d'en évaluer leur portée réelle.
Cette invisibilité est par contre criante dans des publications distribuées au public. Figurez-vous la première édition du Guide remboursable, une publication touristique de 1905 livrant un large chapitre sur l'Exposition universelle, qui n'y faisait allusion que dans une phrase, par ailleurs répétée presqu'à l'identique dans d'autres brochures, y compris celles spécifiquement consacrées au Vieux-Liège. Il fallut attendre la deuxième édition dudit guide pour y découvrir deux pages consacrées à la houillère dont l'une portait sa publicité donnant droit à une réduction de 50% sur le prix d'entrée[64].
Autre perspective : dans l'évolution du discours. Au sein de la Gazette du Vieux-Liège, l'organe gratuit des concessionnaires du vieux quartier, on passe de quelques mentions de la houillère sur deux pages du premier numéro (« pour voir une chose instructive, allez visiter la houillère[65] », « allez voir la houillère[66] ») à ce qui ressemble à un bégaiement publicitaire au fil des numéros suivants (« allez voir la houillère[67] », « Allez tous voir la houillère[68] », « Allons à la houillère, allons à la houillère[69] »).
Ces éléments résonnent comme un appel d'air, une tentative (désespérée ?) d'attirer des spectateurs. Assertion gratuite ? Oui… et non.
Ce relatif déficit d'image eut-il des conséquences sur la rentabilité de l'activité ? En termes purement comptables, l'attraction sembla connaître des difficultés, comme ce fut plus globalement le sort réservé au quartier du Vieux-Liège, déclaré en faillite[70]. C'est ainsi qu'en septembre 1905, après plusieurs rappels, un contentieux naquit entre la houillère et la société de l'Exposition en raison du non-paiement par la première d'une participation sur ses recettes (10%) exigée par la seconde[71].
Enfin, alors que les exploitants auraient dû avoir démoli la houillère après la clôture de l'Exposition, la ville de Liège constatait qu'au 20 janvier 1906, la reconstitution était toujours debout[72], signe plausible que ses responsables n'étaient plus en mesure d'assumer leurs obligations.
En conclusion
L'attraction était-elle trop sérieuse, trop aride, trop terre à terre ? Pas assez racoleuse ou spectaculaire pour être réellement perçue comme telle ? Le sujet pas aussi populaire qu'on aurait pu le croire ? L'ambition et la concrétisation inversement proportionnelles aux slogans publicitaires ? Son entretien engendrait-il des coûts à ce point élevés qu'il nuisit à son équilibre financier ? Les déboires du Vieux-Liège entrainèrent-ils ceux de la houillère ? Nous en sommes, pour l'heure, réduits au silence ou à de simples conjectures.
Cela dit, si la houillère finit par disparaître, sa brève histoire témoigne d'un intérêt pour l'industrie charbonnière au-delà du seul prisme capitaliste, extractiviste et économique. La houillère était indubitablement un manège mais n'opérait pas dans un registre similaire à ses contemporains tels que les aéroplanes, les montagnes russes ou le looping qui égayèrent l'Exposition.
La houillerie pouvait être considérée comme un vecteur de projection d'un public dans une réalité qui lui échappait, même si on peut lui reprocher les truchements par lesquels elle la lui présentait. En forçant un peu le trait, la houillère du Vieux-Liège pourrait être la pionnière, bien malgré elle, de nos musées miniers.
Bruno GUIDOLIN, Bibliothécaire aux Archives générales du Musée de la Vie wallonne.
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[1] Entre autres, au 18e siècle, Pierre le Grand, Gabriel Jars ou Jean-François Morand. GAIER Claude. Huit siècles de houillerie liégeoise : histoire des hommes et du charbon à Liège. Éd. du Perron, 1988, pp. 21, 23.
[2] Exposition universelle et internationale de Liége [sic] 1905 : guide remboursable illustré. Charles Desoer, 1905, p. 6.
[3] Idem, p. 88.
[4] « Rapport du Comité technique du 25 janvier 1899 » publié dans : DREZE Gustave Le livre d'or de l'Exposition universelle et internationale de 1905 : histoire complète de l'exposition de Liége [sic] : tome I, p. 30.
[5] DREZE Gustave. Op. cit. : tome II, p. 697.
[6] Idem, p. 722.
[7] DRECHSEL Anne. « L'ouvrière, icône de l'industrie malgré elle. Entre illusion et réalité, la figure de « li hièrtcheûse » au tournant des 19e et 20e siècles ». In : Des usines et des hommes, n°13(2023), p. 95.
[8] Il s'agissait pour partie d'un anachronisme : le métier de botteresses était en voie de disparition à l'époque tandis que les femmes de moins de 21 ans ne pouvaient plus descendre dans les mines depuis 1892. En surface, les ouvrières représentaient 2% de l'effectif total au début du 20e siècle. GAIER Claude. Op. cit., p. 157.
[9] HEUSY Ch. Exposition universelle et internationale de Liège 1905 : la houillère au Vieux-Liège. Imprimerie-lithographique A. & G. Bulens frères, 1905, p. 3.
[10] Archives de la Ville de Liège. Fonds de l'Exposition universelle de Liège en 1905. Dossier 427C.
[11] [Document publicitaire de la houillère du Vieux-Liège], ca 1905. MVW 2303856. Visible en ligne : https://collections.viewallonne.be?queryid=4da32c16-2992-488f-ab52-ca5f91e87d1b
[12] La gazette du Vieux-Liège, n°5(6 août 1905). MVW-2304975.
[13] Exposition universelle et internationale de Liége [sic] 1905 : guide remboursable illustré. 2e éd. Charles Desoer, 1905, p. 491.
[14] Le mot « bure » (masculin ou féminin) est synonyme de puits. Le mot est emprunté au liégeois beûr.
[15] HEUSY Ch. Op. cit., p. 4.
[16] Liège atteindra son maximum de production en 1913 avec 6.000.000 tonnes, soit un quart de la production belge et 0,5% de la production mondiale. GAIER Claude. Op. cit., p. 35.
[17] MÉLON Marc-Emmanuel. « Attraction, narration et culture de classe : trois voyages dans la mine ». In : Revue belge du cinéma, n°38-39(1995), p. 44.
[18] Adresses de Liège et de la province : 1905 : le moins cher, le plus complet. J. Lasalle, 1905, p. 284.
[19] [Carton d'invitation au Vieux-Liège], 1905. MVW2304388. Visible en ligne : https://collections.viewallonne.be?queryid=e9d895a3-8d14-4f1e-a2de-1c3eb1ccfe2c
[20] La gazette du Vieux-Liège, n°4(30 juillet 1905), p. 2. MVW-2004345.
[21] DREZE Gustave. Op. cit. : tome II. 1907, p. 699.
[22] Pas « très artistique ». HEUSY Ch. Op. cit., p. 6.
[23] Ibidem.
[24] Ibidem.
[25] Ibidem.
[26] Idem, p. 7.
[27] DREZE Gustave. Op. cit. : tome I, pp. 425-426.
[28] Exposition universelle et internationale de Liége [sic] 1905 : guide remboursable illustré. 2e éd. Charles Desoer, 1905, p. 491.
[29] HABETS A. « Exposition universelle de Liége [sic] 1905 : les mines : gisements, études et procédés nouveaux ». In : Revue universelle des mines, de la métallurgie, des travaux publics, des sciences et des arts appliqués à l'industrie, déc. 1905, p. 215.
[30] Idem, p. 220.
[31] HEUSY Ch. Op. cit., p. 11.
[32] Idem, pp. 10-11.
[33] Liège-Exposition : organe officiel de l'Exposition universelle & internationale de Liège. Fasc. 59(3 septembre 1905), p. 3.
[34] HEUSY Ch. Op. cit., p. 12.
[35] DREZE Gustave. Op. cit. : tome I, pp. 425-426.
[36] Référence anachronique au roman du même titre de Eugène Mattiato.
[37] Le projet initial avait été validé en 1903 auprès de ses tenants, MM. M. Antoine (Liège) et Bogaert (Bruxelles). « Le Vieux-Liége [sic] ». In : Liège-Exposition : organe officiel de l'Exposition universelle & internationale de Liège, fasc. 21(26 juillet 1903), p. 151.
[38] DREZE Gustave. Op. cit. : tome I, p. 176. On lui doit également la construction du Vieil Anvers en 1894. « Le Vieux-Liége [sic] ». In : Liège-Exposition : organe officiel de l'Exposition universelle & internationale de Liège, fasc. 34(7 août 1904).
[39] « Le quartier du Vieux-Liège à l'Exposition de 1905 ». In : Wallonia, tome XII (1904), p. 114.
[40] DREZE Gustave. Op. cit. : tome I, p. 425.
[41] MÉLON Marc-Emmanuel. Op. cit., p. 46.
[42] Ibidem.
[43] Ibidem.
[44] Idem, p. 43.
[45] Idem, p. 43.
[46] Ibidem.
[47] Des réductions pouvaient être octroyées aux entreprises, pour leurs personnels, ainsi qu'à certains statuts : militaires, fonctionnaires, femmes, enfants, etc.
[48] GAIER Claude. Op. cit., p. 167.
[49] La gazette du Vieux-Liège, n°5(6 août 1905). MVW-2304975.
[50] L'équivalent d'un verre de bière. La gazette du Vieux-Liège, n°5(6 août 1905). MVW-2304975.
[51] La gazette du Vieux-Liège, n°5(6 août 1905). MVW-2304975.
[52] « Exposition universelle et internationale de Liége [sic] 1905 : la houillère du Vieux-Liége [sic] ». In : L'illustré wallon, n°37(16 septembre 1905), p. 289.
[53] MÉLON Marc-Emmanuel. Op. cit., p. 44.
[54] DRECHSEL Anne. Op. cit., p. 99.
[55] HEUSY Ch. Op. cit., p. 6.
[56] Idem, pp. 8-9.
[57] Idem, p. 10.
[58] Exposition universelle et internationale de Liége [sic] 1905 : guide remboursable illustré. 2e éd. Charles Desoer, 1905, p. 491.
[59] Comparer par exemple https://collections.viewallonne.be?queryid=8bcc2aa8-91a8-47ee-9afd-ec26863b02fd avec https://collections.viewallonne.be?queryid=a10749e5-cc3c-4ebf-9bd1-029d5b5a0d1c
[60] Archives de la Ville de Liège. Fonds de l'Exposition universelle de Liège en 1905. Dossier 427C. Lettre adressée à M. Dumoulin / G. Terme, Marc Antoine, 28 novembre 1904.
[61] [Document publicitaire de la houillère du Vieux-Liège], ca 1905. MVW 2303856.
[62] « La houillère du Vieux-Liége [sic] ». In : Liège-Exposition : organe officiel de l'Exposition universelle & internationale de Liège, fasc. 25(11 juin 1905), p. 204.
[63] « Exposition universelle et internationale de Liége [sic] 1905 : la houillère du Vieux-Liége [sic] ». In : L'illustré wallon, n°37(16 septembre 1905), p. 289.
[64] Exposition universelle et internationale de Liége [sic] 1905 : guide remboursable illustré. 2e éd. Charles Desoer, 1905, pp. 490-491.
[65] La gazette du Vieux-Liège, n°1(9 juillet 1905), p. 2. Périodique 4G, MVW-27146.
[66] La gazette du Vieux-Liège, n°1(9 juillet 1905), p. 4. Périodique 4G, MVW-27146.
[67] La gazette du Vieux-Liège, n°3(23 juillet 1905)-MVW-2304976, n°4(30 juillet 1905)-MVW-2004345, n°5(6 août 1905)-MVW-2304975.
[68] Idem.
[69] Idem.
[70] Archives de la Ville de Liège. Fonds de l'Exposition universelle de Liège en 1905. Dossier 345T. Etat des affaires en suspens au 31 janvier 1906.
[71] Archives de la Ville de Liège. Fonds de l'Exposition universelle de Liège en 1905. Dossier 427C. Lettre adressée à M. Fauconnier, directeur de la houillère du Vieux Liége, 27 septembre 1905.
[72] Archives de la Ville de Liège. Fonds de l'Exposition universelle de Liège en 1905. Dossier 345T. Lettre adressée au Comité exécutif de l'Exposition de Liége / Collège des Bourgmestre et échevins de la Ville de Liège (N°224V/1135), 20 janvier 1906.
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Légende des photos :
1 : Tour de forage de l'Internationale Bohrgesellschaft installée dans le quartier de Fragnée lors de l'Exposition universelle. Hauteur de la structure métallique : 70 mètres[6]. Léon Jacques, 1905. MVW-1030841-1865 © Province de Liège – Musée de la Vie wallonne.
2 : Vue du groupe de statues évoquant la mine et ornant le côté droit de l'entrée monumentale des halls des Vennes lors de l'Exposition universelle. Ces statues furent réalisées par le sculpteur Édouard Deckers. MVW-2304299 © Province de Liège – Musée de la Vie wallonne.
3 : Lot de huit timbres-vignettes publicitaires en couleurs, représentant une hiercheuse et une botteresse, édités à l'occasion de l'Exposition universelle. MVW-2010796 © Province de Liège – Musée de la Vie wallonne.
4 : Face d'un papillon dépliant en français présentant l'Exposition universelle, avec une botteresse sur fond d'un panorama de l'exposition. Supplément de L'Alliance industrielle, mai 1905. MVW-2028105 © Province de Liège – Musée de la Vie wallonne.
5 : Souvenir publicitaire de la Manufacture de biscuits Parein à Anvers, publié à l'occasion de l'Exposition universelle. Dessins de O. Geerling, Biscuiterie Parein, Lith. J.H. van Hall & cie, 1905. MVW-2002082 © Province de Liège – Musée de la Vie wallonne.
6 : Affiche de promotion de la houillère du Vieux-Liège, montrant des hiercheuses poussant un wagonnet dans un décor sombre et embrumé. Marc Antoine, Lithographie A. & G. Bulens frères, 1905. MVW-2029515 © Province de Liège – Musée de la Vie wallonne.
7 : Détail d'une carte postale représentant l'Ourthe et le quartier du Vieux-Liège, sur laquelle on distingue les installations de la houillère. Héliotypie De Graeve, 195. MVW-2301325 © Province de Liège – Musée de la Vie wallonne.
8 : Vue de l'entrée de la houillère reconstituée dans le quartier du Vieux-Liège. L'Image artistique, 1905. MVW-2301331 © Province de Liège – Musée de la Vie wallonne.
9 : La locomotive Deutz sortant de la houillère du Vieux-Liège. Tirée de DREZE Gustave. Le livre d'or de l'Exposition universelle et internationale de 1905 : histoire complète de l'exposition de Liége [sic] : tome II. 1907, p. 592.
10 : Vue de l'intérieur de la "grotte". L'Image artistique, 1905. MVW-2303209. © Province de Liège – Musée de la Vie wallonne.
11 : Vue de figurants en costume d'époque à l'entrée du quartier du Vieux-Liège édifié à l'occasion de l'Exposition universelle. MVW-2304015 © Province de Liège – Musée de la Vie wallonne.