Musée de la Vie wallonne

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Focus

Cadran diptyque de Nuremberg

Schéma du cadran diptyque « astyle » de Georgius Hartman, réalisé par Max Elskamp

Un instrument, une exception, le cadran astyle de Georgius Hartman…

Les cadrans diptyques en ivoire de Nuremberg ont été très en vogue aux 16e et 17e siècles dans le sud de l'Allemagne. Entre 1559 et 1628, une école de cadraniers spécialisés dans cette construction est implantée à Nuremberg. Ces objets présentent un décor spécifique. Les lettres et les chiffres inscrits sur l'ivoire de ces instruments ne sont pas gravés mais poinçonnés au moyen de caractères matricés. Les ouvriers de Nuremberg devaient posséder une méthode restée secrète pour ramollir superficiellement l'ivoire et pour lui restituer sa dureté après le poinçonnage. Les traits et ornements, quant à eux, sont gravés au burin, et rehaussés de couleur, généralement, rouge ou verte. On retiendra les cadraniers spécialisés dans cette technique tels que Hans III Tucher[1], Paul Reinmann[2], Hans Troschel[3], Leonhart Miller[4], Conrad II Karner[5], ….

Georgius Hartman

Georgius Hartman (1489 – 1564) est un ingénieur, inventeur et astronome allemand. Né à Eggolsheim, il étudie les mathématiques et la théologie à Cologne, avant de voyager en Italie, où il travaille sur le magnétisme. Il est l'auteur du Collectanea mathematica praeprimis gnomonicam spectanta – Collection mathématique concernant principalement la gnomonique – et des Composiciones horologiorum et aliorum instrumentorum que sole aut arcturo gubernantur – Dessins pour horloges et autres instruments dépendant du soleil ou de l'étoile polaire[6]. Vicaire de l'église Saint-Sébald de Nuremberg, il crée son atelier de fabrication d'instruments mathématiques dans cette même ville. Il grave lui-même ses cuivres qu'il fait imprimer sur ses propres presses. Il est un des rares savantscapables de construire lui-même ses cadrans. Il imagine divers types de montres solaires, dont celle décrite ci-après, qui est un exemplaire unique.

Un cadran d'exception

Ce cadran diptyque en ivoire, daté de l'an 1537 et signé de « Georgius Hartman », est d'une grande rareté. Très précieux en raison de la personnalité de son constructeur, illustre mathématicien, il présente cette particularité d'être « astyle »[7] et s'éloigne ainsi du type traditionnel de Nuremberg.

L'instrument a malheureusement assez bien souffert : des fils de bronze servant de ligaments à la charnière ont été maladroitement modifiés. L'extrémité sud de la ligne de foi, vierge de toute inscription lors de la confection du cadran, a été erronément pointée Nord. Enfin, un des détenteurs antérieurs du cadran, qui ignorait l'usage des cadrans dits « astyles » a percé le plan inférieur d'un trou, dans le but d'y introduire un style à cordonnet et de pouvoir obtenir l'heure, tentative en laquelle il devait nécessairement échouer. En effet, le cadran horizontal ne peut fournir d'indications horaires, que par projection de l'ombre du plan supérieur sur le tracé des heures inscrit au plan inférieur, le plan supérieur faisant ici office de style.

Description

L'instrument, en ce qui concerne son apparence extérieure, de la forme ordinaire des cadrans diptyques de Nuremberg, se définit comme suit :

Le plan supérieur côté face porte un cadran polaire méridional, donnant les heures astronomiques, la ligne des deux tropiques et celle des équinoxes. Le cadran polaire est inscrit au milieu du plan, débordant sur un rectangle dont les champs sont ornementés de rinceaux, de feuilles et de fleurs.

Le plan supérieur côté revers porte un cadran polaire septentrional avec l'échelle des latitudes. L'ornementation de rinceaux, de feuilles et de fleurs, déjà présente sur le plan supérieur côté face, s'y trouve répétée. L'inscription suivante Universale Horlogium Omni Congruens Climati[8] se rapporte aux deux cadrans polaires. Ce plan fait également office de style pour le cadran horizontal tracé sur le plan inférieur.

Le plan inférieur côté face porte un cadran solaire horizontal « astyle » donnant les heures astronomiques et les demi-heures, pour une élévation de pôle fixe de 48° comme mentionnée dans l'inscription « Polus Gras. 48 ». Vers le haut du plan se trouve la cuvette du compas, évidée dans l'ivoire. La ligne de foi présente une inclinaison magnétique Est de quelques degrés. Les indications horaires sont inscrites sur les deux limbes qui se croisent vers le bas de l'instrument (11h. du matin à gauche et 1h. de l'après-midi à droite). Les champs entre les limbes sont remplis par une ornementation de feuilles trilobées. Le pourtour du plan rectangulaire porte la signature et les inscriptions suivantes « Georgius Hartman », « Norenberg Faciebat », « Anno MD XXXVII ». À la droite du plan, se trouve une rainure destinée à renfermer la réglette, aujourd'hui manquante, servant à maintenir le plan supérieur à la hauteur du pôle voulue pour les deux cadrans polaires et à hauteur de pôle fixe de 48° quand on fait usage du cadran solaire horizontal.

Le plan inférieur côté revers est à l'origine, sans doute, sans inscription. Il porte à présent un distique tiré des « Fastes » d'Ovide Tempora labuntur, tacitisque senescimus annis, et fugiunt fraeno non remorante dies[9]. Sous ce distique, une aigle bicéphale. Cette aigle est l'indice d'un privilège attaché à l'église impériale dont Hartman était chanoine. La qualité moindre de la gravure de cette face, nous permet d'affirmer avec certitude que Georgius Hartman n'en est pas l'auteur.

L'utilisation du cadran solaire horizontal « astyle »

Le mode d'emploi des cadrans « astyles » est très peu connu. Pour faire usage du cadran solaire horizontal présent sur le cadran diptyque de Georgius Hartman, il faut incliner sur le plan inférieur, le plan supérieur, qui joue le rôle de style, à la hauteur du pôle, soit dans le cas présent à 48°. Pour obtenir cette inclinaison, il faut poser le bout de la réglette (aujourd'hui manquante) sur l'échelle altimètre du plan supérieur côté revers. Lorsque l'instrument est orienté Sud-Nord, avec la charnière côté Sud, l'arête du couvercle qui est à l'Est porte ombre sur la base horizontale, depuis le lever du Soleil jusqu'à Midi, l'arête Ouest, de Midi au coucher du Soleil. L'heure de Midi, étant inscrite en double sur les deux bords extrêmes du cadran, se trouvera atteinte quand tout le plan inférieur sera plongé dans l'ombre.

Un récolement des cadrans diptyques est en cours et consultable depuis notre catalogue en ligne : http://collections.viewallonne.be

Notes

[1] La famille Tucher (ou Ducher), originaire de Nuremberg, a réalisé des cadrans sur plusieurs générations, et plus particulièrement des cadrans diptyques ou triptyques. Hans III (1549-1632), devenu maître en 1570, est responsable de la conservation d'une grande majorité de cadrans d'ivoire des XVIe et XVIIe siècles.

[2] Paul Reinmann (1557-1609) et son père Hiéronymus Reinmann, sont fabricants de cadrans à Nuremberg. Leur marque distinctive est une couronne.

[3] Hans Troschel (1548-1612), dit l'aîné, est un fabricant de cadrans solaires et d'astrolabes installé à Nuremberg.

[4] Leonhart Miller, dont le nom est parfois transcrit Lienhart Miller ou Leonhart Milner, est un fabricant de cadrans solaires installé à Nuremberg, actif dès 1602 et décédé en 1653.

[5] La famille Karner est une véritable dynastie de fabricants de cadrans solaires, dont Conrad II Karner (1571-1632).

[6] Ce dernier n'est pas paru. Il est conservé sous forme manuscrite à la Herzogina Anna Amalia Bibliothek de Weimar.

[7] « Astyle » : qui est dépourvu de style ou aiguille d'un cadran solaire.

[8] Universale Horlogium Omni Congruens Climati[8] - Cadran universel convenant à tous les pays

[9] Tempora labuntur, tacitisque senescimus annis, et fugiunt fraeno non remorante dies - Le temps s'écoule et nous vieillissons au fil de muettes années. Nos jours s'enfuient que nul frein n'arrête (Ovide, les Fastes, Livre VI, Vers 773).

Bibliographie

ELSKAMP Max, carnet descriptif de sa collection, 1910-1925.

GOUK Penelope, the Ivory Sundials of Nuremberg, 1500-1700, Cambridge, Whipple Museum of the History of Science, 1988.

AMIOT Anne ; HEBERT Elisabeth, Instruments scientifiques à travers l'Histoire. Plongée dans l'univers de la gnomonique, Ellipses Paris, 2004, p. 187-216.

Catalogue des Cadrans Solaires du Musée de la Vie Wallonne, Liège, Musée de la Vie wallonne, 1974.

Les cadrans solaires de Max Elskamp, Liège, Musée de la Vie wallonne, 1966.

Légende des illustrations :

0) Cadran diptyque universel de Nuremberg en ivoire, Georgius Hartman, 1537. Détail du cadran astyle avec boussole.

1) Cadran triptyque universel de Nuremberg en ivoire, Hans III Tucher, entre 1547 et 1632. Ce cadran a été reconnu comme Trésor par la Fédération Wallonie-Bruxelles en 2011.

2) Cadran diptyque universel de Nuremberg en ivoire, Paul Reinmann, entre 1575 et 1612.

3) Cadran diptyque universel de Nuremberg en ivoire, Hans Troschel, 1612.

4) Cadran diptyque universel de Nuremberg en ivoire, Leonhart Miller, 1643.

5) Cadran diptyque universel de Nuremberg en ivoire, Conrad II Karner, 1622.

6) Cadran diptyque universel de Nuremberg en ivoire, Georgius Hartman, 1537. Plan supérieur côté face portant un cadran polaire méridional.

7) Cadran diptyque universel de Nuremberg en ivoire, Georgius Hartman, 1537. Plan supérieur côté revers portant un cadran polaire septentrional et plan inférieur côté face portant le cadran horizontal « astyle ».

8) Schéma du cadran diptyque « astyle » de Georgius Hartman, réalisé par Max Elskamp dans l'un de ses carnets descriptifs de la collection.

9) Schéma du cadran diptyque « astyle » de Georgius Hartman, réalisé par Max Elskamp dans l'un de ses carnets descriptifs de la collection.

10) Cadran diptyque universel de Nuremberg en ivoire, Georgius Hartman, 1537. Détail du plan inférieur côté revers.

11) Schéma de l'utilisation cadran diptyque « astyle » de Georgius Hartman, réalisé par Max Elskamp dans l'un de ses carnets descriptifs de la collection.

Manon Collignon – Responsable de la collection objets et des réserves du Musée de la Vie wallonne.



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