Musée de la Vie wallonne

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Focus

La Houillère

La Houillère, Partie supérieure du chevalement du siège de Romsée

Passionnant documentaire photographique de Gustave Marissiaux

Le Musée de la Vie wallonne conserve des milliers de photographies dont ce chef-d'œuvre exceptionnel et rare, La Houillère de Gustave Marissiaux.

Qui est Gustave Marissiaux ?

(Marles, Pas-de-Calais, 1872-Cagnes, Alpes maritimes, 1929)

Installée à Marles pour l'affectation du père en tant qu'architecte dans les charbonnages, la famille Marissiaux vient habiter à Cointe en 1893. Passionné très jeune par la photographie, d'amateur, Gustave Marissaux passe professionnel et ouvre, en 1899, rue des Carmes, un studio qui en fait rapidement un artiste reconnu. Considéré comme le photographe le plus réputé de la ville de Liège, menant une double carrière de portraitiste et d'artiste, il acquiert une réputation internationale qui lui assure une clientèle bourgeoise régulière.

Il se déclare lui-même « artiste photographe », un statut largement reconnu tant par ses commanditaires que par l'Association belge de photographie (ABP), la plus puissante organisation de photographes professionnels et amateurs de Belgique, dont Marissiaux est membre depuis 1894. En 1904, le photographe devient l'un des éminents représentants du pictorialisme.

La commande de La Houillère

Il s'agit d'une vaste série de vues photographiques consacrées à l'univers de l'industrie charbonnière. À ce moment, Liège est en plein essor, et après l'Angleterre, considérée comme la seconde puissance économique du monde grâce au charbon, à la métallurgie et au textile. De fin avril à novembre 1905, l'exposition universelle sera le symbole de la puissance des industries du bassin liégeois, une vitrine du savoir-faire industriel.

Ce reportage est le produit d'une importante commande du Syndicat des Charbonnages liégeois, un trust industriel composé de 27 sociétés minières du bassin liégeois. Il a donc clairement une visée promotionnelle et commerciale, destinée à démontrer les performances de l'industrie minière à l'Exposition universelle de Liège. Il va permettre de présenter leurs bâtiments, sites et machines mais aussi d'offrir un aperçu des procédures de travail, des différentes étapes de production et des progrès technologiques.

Les termes exacts de la commande ne sont pas connus. On sait néanmoins que la série doit être produite en stéréoscopie sur verre. Gustave Marissiaux demande alors l'assistance de Georges Kemna (Anvers 1856-Liège, 1914), professeur à Liège, membre de la section liégeoise de l'ABP, spécialisé dans la stéréoscopie.

La Houillère

La série doit comprendre des vues prises dans chacun des charbonnages associés. Le photographe réalise 436 vues stéréoscopiques et en sélectionnera 150 pour les présenter dans les bornes du Palais de l'Industrie de l'exposition universelle.

Pour couvrir de façon exhaustive tous les aspects industriels de l'exploitation du charbon, elle est divisée en thématiques : vues extérieures, bois de soutènement, salles des machines, forges et ateliers, lampisterie, descente et remonte des mineurs, travaux souterrains, encagement et décagement, triage, épierrage, transport du charbon, mise en stock, fours à coke, terrils et glaneuses, vestiaires et lavoirs, types d'ouvriers mineurs et services médicaux.

Les photos ont été prises durant l'hiver 1904-1905, dans des conditions parfois difficiles. Sur l'ensemble, 26 photographies sont effectuées dans le fond, au charbonnage de Patience et Beaujonc à Glain. Il s'agit de la partie la plus technique de la série. Gustave Marissiaux fait partie du groupe restreint des précurseurs de la photographie souterraine et obtient des images d'une grande qualité. En janvier 1905, il effectue un repérage en compagnie de Georges Kemna qui lui fabriquera une lanterne de sûreté pour pouvoir photographier au magnésium sans risque. Effectivement, il faut faire face à de nombreuses difficultés pour prendre des photographies dans les sombres galeries. Le photographe va y exploiter les différentes possibilités de l'éclairage artificiel, jouant parfois avec les effets de lumière et le contre-jour.

Cette commande emmène Marissiaux là où il ne se serait sans doute jamais rendu. Il se trouve ici confronté à une réalité qu'il doit représenter de façon objective. Une réalité loin de la sienne : il se retrouve parmi des enfants qui travaillent de nombreuses heures par jour, des femmes et des hommes qui effectuent des travaux pénibles.

Ce n'est qu'en 1919 que sera appliquée la législation concernant l'instruction obligatoire et gratuite jusqu'à 14 ans. Les enfants apparaissent sur un grand nombre de clichés. Beaucoup d'entre eux font partie d'équipes d'adultes et sont soumis aux mêmes conditions et aux mêmes horaires. Ils travaillent jusqu'à 10 heures par jour. Les femmes sont également bien représentées sur les photographies. Utilisées comme main d'œuvre bon marché et recevant un salaire moins élevé que les hommes, elles effectuent pourtant un travail très dur. L'image de la hiercheuse derrière sa berlaine fait d'ailleurs partie des stéréotypes de la mine. Elle devient une véritable source d'inspiration artistique. Cependant, rares sont les artistes qui la représentent la dureté de leurs conditions de travail avec réalisme. Porter, trier, pousser et nettoyer les lampes sont leurs tâches principales. On les retrouve aussi sur le terril, agenouillées pour grappiller le charbon qui aurait échappé au triage.

Les photographies des services médicaux, laboratoires et salles des machines renforcent la mission publicitaire de cette commande en exposant le modernisme de ces lieux.

Le photographe comprend les avantages esthétiques qu'il peut tirer de la stéréoscopie. Que ce soit grâce à la parfaite netteté des vues, via les surcadrages, ou en disposant plusieurs scènes l'une derrière l'autre, il exploite avec une grande habilité les possibilités de la profondeur de champ.

Gustave Marissiaux traite également sa commande avec de véritables préoccupations stylistiques. Parfois, dans certaines prises de vue, comme chez les pictorialistes, la réalité est transformée, mise à distance.

Diffusion et déclinaisons de La Houillère

La Houillère est présentée dans des bornes stéréoscopiques au Palais de l'Industrie de l'Exposition de 1905. L'immense succès de la série témoigne de l'attrait que la mine exerce sur le public qui découvre un univers qu'il ne connaît pas. Cet engouement se manifeste pour l'attraction « La Houillère au Vieux-Liège » : le public fasciné par ce lieu dangereux pouvait descendre dans une mine reconstituée. L'industrie minière très dure est dans ce cadre transformée en un lieu de distraction.

Pour faire reconnaître son œuvre par l'institution pictorialiste, Gustave Marissiaux va rendre certains de ses clichés plus conformes à cette esthétique et la présenter sur d'autres supports, notamment dans la section Art de l'Exposition (annexe du Palais des Fêtes). D'autres tirages seront inclus dans sa publication Visions d'artiste. Enfin, la série La Houillère sera de nombreuses fois montrée lors de soirées de projection, en parallèle avec la série Venise, sous la forme de tableaux photographiques sur des diapositives de projection.

Comme l'écrit Marc-Emmanuel Mélon, spécialiste de la question, La Houillère « combine en une seule œuvre tout un paradoxe esthétique et les ambiguïtés sociales d'un documentaire photographique. C'est le travail qu'il montre, pas l'homme et la femme qui l'exécutent dans des conditions extrêmement dures ». Le sujet est le charbon/la mine et pas le mineur/l'homme. Gustave Marissiaux n'est pas un artiste engagé, il ne s'agit pas de photographie sociale. Cette série reflète un aspect de la réalité des charbonnages. « Le regard du photographe ne se préoccupe pas des conditions de travail. L'ouvrier est toujours vu comme le bras qui actionne la machine. Il garde une distance respectueuse à l'égard de cet univers qui n'est pas le sien et auquel il applique ses préoccupations esthétiques ».

La pénibilité du travail contraste avec la beauté des photographies. Il s'agissait donc clairement de magnifier l'industrie. Cependant, cette série constitue une œuvre exceptionnelle nous documentant sur un domaine qui n'avait, jusque-là, quasiment jamais été photographié.

A. D., responsable des Collections photographiques.

MELON, M.-E., « Paradoxe esthétique et ambiguïtés sociales d'un document photographique : La Houillère », dans Art&Fact, n°30, Liège 2011, p. 146-156.

MELON, M.-E., Gustave Marissiaux. La possibilité de l'art, Charleroi, Musée de la photographie 1997.

Légendes des photos :

1. La Houillère, Charbonnage et hauts-fourneaux, siège du Grand Bac, Tilleur, 1904-1905.

2. La Houillère, Triage manuel au pied d'une tôle perforée, site non identifié, 1904-1905.

3. Borne stéréoscopique, charbonnage de Belle-Vue à Herstal, 1905.

4. La Houillère, Partie supérieure du chevalement du siège de Romsée, 1904-1905.

5. La Houillère, Silhouette de hiercheur, charbonnage de Patience et Beaujonc à Glain, 1904-1905.

6. La Houillère, Hiercheur, charbonnage de Patience et Beaujonc à Glain, 1904-1905.

7. La Houillère, Epierrage par des enfants, siège de Patience et Beaujonc, Glain, 1904-1905.

8. La Houillère, Sous le triage. Reprise au stock de charbon fin, siège de Belle-Vue et Bienvenue à Herstal, 1904-1905.

9. La Houillère, Chargement du coke, charbonnage de Cockerill, Seraing, 1904-1905.

10. La Houillère, Hiercheuse, siège du Horloz à Tilleur, 1904-1905.

11. La Houillère, Houilleurs dans le réfectoire, siège du Horloz à Tilleur, 1904-1905.

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