Musée de la Vie wallonne

Musée de la Vie wallonneMusée de la Vie wallonneMusée de la Vie wallonneMusée de la Vie wallonne

Focus

Ils émaillaient le quotidien...

Cafetière peinte à la main, début 20e siècle

ou un matériau à usages multiples...

Parmi tous les trésors qu'il conserve, le Musée de la Vie wallonne a la chance de posséder une importante collection d'objets en tôle émaillée, appelés communément « les émaillés ».

Si l'émail est connu depuis la plus Haute Antiquité, c'est en tant que pâte colorée enrichissant des parures magnifiques, comme celles des pharaons d'Égypte. Il s'agit là d'émaux cloisonnés sur or ou autres matières précieuses, technique que l'époque médiévale continuera de développer avec splendeur, sur des châsses, des reliquaires et autres pièces ornementales.

Contrairement à ces joyaux inestimables relevant de la bijouterie et de l'orfèvrerie, les émaillés des 19e et 20e siècles s'adressent au peuple, non aux souverains. Leurs supports sont constitués de matériaux peu nobles, comme la tôle de fer ou d'acier, plus rarement de cuivre (cadrans de montres), mais qui se révèlent parfaitement adaptés à l'engobage complet des objets utilitaires dont il est question ici.

Dès 1782 la Suède, puis d'autres pays sidérurgiques, avaient mené des expériences d'émaillage, mais il fallut attendre 1830 pour que le processus de fabrication se révèle enfin satisfaisant. Car la réussite de la poterie en émaillé réside dans l'accord parfait entre le métal et sa couverture de pâte vitrifiable. La séparation entre base et émail doit être évitée car cela provoquerait l'éclat, qui rend les pièces inaptes à la vente. Au fil du temps, les expérimentations successives et les études réalisées sur le comportement des tôles ont abouti à sélectionner des fers/aciers à faible teneur en carbone, en oxygène et en manganèse. Ce type de métaux se prêtant parfaitement à l'émaillage, il produit les résultats les plus performants et des pièces parfaites.

Quant à la pâte d'émail, c'est un verre opaque. Mélange de silice, de feldspath, de potasse, de soude et d'acide borique (un fondant), il est coloré par divers pigments et oxydes métalliques. L'association correctement proportionnée de tous ces ingrédients va répondre aux exigences de fusion, de dilatation et de solidité face aux écarts de température. Ce mélange est versé dans un four porté à 1100 °C. À sa sortie, la pâte en fusion est plongée dans un bain d'eau froide ; elle se fragmente en paillettes nommées « la fritte », qu'il faut ensuite réduire en poudre grâce à des meules. Après l'adjonction d'eau et d'argile, on obtient une barbotine collante qui adhère bien aux pièces à émailler.

Les ustensiles sont alors cuits au four à 1000 °C sur des grilles à clous ; ils recevront plusieurs couches d'émail, la dernière constituant la glaçure. Sortis du four, ils sont mis à refroidir de façon progressive, et prêts à recevoir leur décor si nécessaire.

En Belgique, l'émaillerie industrielle commence en 1850 pour se terminer à peu près un siècle plus tard. Ce n'est pas un hasard si ses origines se trouvent à Gosselies : la région pratiquait déjà les deux techniques en lien avec l'émaillerie à savoir la sidérurgie et le travail du verre. Un entrepreneur allemand, David Moll (1800-1861), fils d'un émailleur sur fonte en Silésie, vint s'installer à Gosselies et en fit « la cité des casseroles ». Son industrie lui survécut et d'autres émailleries, comme Aubecq, Patte (Patémail) et Cornet contribuèrent à la réputation de la cité hennuyère.

Mais d'autres villes ne sont pas en reste : les émailleries Ronet à Flawinne, celles de Saint-Servais à Namur, qui deviennent en 1881 « Société nouvelle des Produits émaillés de Saint-Servais ». À Huy, l'entreprise Vandenkieboom & Fils connaît ses heures de gloire de 1897 à 1939. Et Liège accueille la célèbre émaillerie Phénix Works de Flémalle dès 1926, mais également une trentaine d'ateliers plus modestes au centre-ville dont certains fabricants et d'autres vendeurs d'émaillés.

En un siècle, les émailleries vont produire des millions d'articles extrêmement variés, englobant tous les domaines de la vie quotidienne. À l'origine, il s'agissait de copier à moindre frais les formes et décors de la vaisselle en céramique fine. Car l'achat d'un service complet en porcelaine, onéreux même pour la bourgeoisie, n'empêchait point qu'il se démode en peu de temps... Comment recevoir la haute société dans une vaisselle Art nouveau tout en courbes florales, quand l'Art déco géométrique règne déjà en maître ? Un peu gênant ! De plus la porcelaine se brise, tandis que l'émaillé survit à la chute avec de simples éclats. Dans cette optique de copie, les pièces peintes à la main imitent formes et décors : bouquets, papillons, liserés soulignant des cannelures… elles constituent des modèles uniques, réalisées avec brio. Lors de la préparation de l'exposition « La Vie en émaillé » en 1993, le Musée de la Vie wallonne a rencontré M. Henry Barthélemy, maître de peinture chez Vandenkieboom & Fils à Huy. Il nous a donné son broyeur de pigments, son nuancier et ses pinceaux en poils de martre et plumes d'oie, exposés maintenant au Musée.

Les décors décalcomaniés sont également très représentés, car rapides à poser, comme le célèbre « Copenhague », repris de la Manufacture Royal Boch, que l'on retrouve sur des bouilloires, des pots à savon ou des saunières.

Mais l'émaillé ne se cantonne pas à l'art de la table, et dans d'autres domaines il s'affranchit de l'imitation des styles. Outre les jouets et leurs adorables dînettes, il investit le champ de l'électroménager moderne (cuisinières, essoreuses etc…), ou des soins et de l'hygiène en produisant des seaux de chambre, des pannes de lit, des urinaux, des inhalateurs et des bassins de toilette. Les ustensiles de cuisson comme les marmites, poêlons et autres lèchefrites, offrent une alternative bon marché aux batteries de cuisine en cuivre. Ces objets utilitaires sont unis, mouchetés ou marbrés, un moindre souci esthétique leur est accordé.

En se promenant simplement en ville ou ailleurs, on pouvait voir des émaillés partout : panneaux indiquant les noms des rues, numéros de maisons, plaques d'immatriculation de voitures et de vélos, ou grandes publicités colorées pour toutes sortes de produits, défiant toujours les intempéries.

Dans les dernières années d'activité des émailleries restantes, 1950-1960 environ, le déclin s'amorce et l'éventail des produits disponibles se referme. La vaisselle et les bassins peints au pochoir avec un simple pistolet constituent l'essentiel de la production, exportée vers le Congo car cette ancienne colonie représentait un marché considérable, et bien suffisant compte tenu du nombre décroissant d'émailleries en Belgique.

En cent ans les émailleries ont employé des millions de personnes : ingénieurs, ouvriers, comptables, artistes, et drainé une population de petites manufactures et d'artisans spécialisés dans l'outillage. Autour d'elles se sont regroupés des sous-traitants, comme les fabricants de poignées de casseroles, de caisses d'emballage, des vendeurs de pigments ou des créateurs de décalcomanies. Bref, elles ont rempli des fonctions industrielles, économiques et sociales.

Après la Seconde Guerre mondiale, et malgré certains efforts d'adaptation peu fructueux, l'émaillerie belge s'éteint peu à peu, pour plusieurs raisons : d'abord la concurrence étrangère de Pologne, de Roumanie et de Chine. D'autre part le changement des mœurs, quand par exemple la lessiveuse électrique a remplacé les bassines. Mais ce sont surtout les nouvelles matières comme l'aluminium, l'inox et le plastique qui ont signé l'arrêt de mort de l'émaillerie. Conserver des objets en émaillé (une bonne centaine au Musée) témoigne de l'histoire quotidienne des Wallons de la première moitié du 20e siècle. Vous pouvez en retrouver une partie sur notre catalogue en ligne, en constante progression.

Françoise Delvaux, Collaboratrice au Département Objets – Réserves du Musée de la Vie wallonne.

Légendes :

1 : Cafetière peinte à la main, début 20e siècle.

2 : Inhalateur, fabrication Phénix Works, 1950.

3 : Plaque minéralogique d'automobile, 1912.

4 : Eléments de dînette, fabrication Luxémail, 1932.

5 : Cruchon servant à remplir les lampes à pétrole, début 20e siècle.

6 : Montre en or avec cadran en émaillé, fin 19e siècle.

7 : Bouilloire à décor « Copenhague », début 20e siècle.

8 : Plaque publicitaire de façade de café, 1ère moitié 20e siècle.

9 : Panneau indicateur de rue, vers 1950.

10 : Cuisinière au gaz, fabrication Nestor Martin, 1950

11 : Cuve à stériliser, fabrication Weck, 1955.

12 : Bols peints au pochoir destinés au Congo belge, Emailleries de Tilly, vers 1955

1
2
3
4
5
6
7
8
9
10
11
12


Tous les focus