Musée de la Vie wallonne

Musée de la Vie wallonneMusée de la Vie wallonneMusée de la Vie wallonneMusée de la Vie wallonne

Focus

L'enseigne fait un tabac !

Léopold Harzé, Au Vieux Caporal, enseigne, terre cuite sur socle en bois, 1863, 76 cm.

Quelle est l’utilité d’une enseigne ?

La systématisation de l'utilisation des enseignes correspond à l'extension des villes au Moyen Âge. Sculptées dans la pierre ou le bois de la façade d'un bâtiment, elles servaient de repères bien avant l'introduction de la numérotation des maisons même si aucun commerce n'y était exercé. Avec l'expansion de l'artisanat et du négoce, les enseignes sont devenues rapidement un moyen de singularisation et un support publicitaire. Elles portent un emblème, une inscription, un objet symbolique ou un témoignage de piété. Souvent, le magasin se renouvelait mais l'enseigne perdurait sans relation directe avec l'activité nouvelle, donnant parfois son nom à un quartier, une rue ou une maison. En témoignent les rues du Pot d'Or et du Mouton Blanc dans le Carré à Liège.

Une collection particulière au Musée de la Vie wallonne

Le Musée de la Vie wallonne conserve plus de 300 enseignes qui s'échelonnent entre le début du 17e siècle et le 20e siècle! Véritables trésors d'art populaire, elles prennent bien des aspects pour nous interpeller : pierre gravée intégrée à la façade, plâtre moulé, métal forgé, coulé ou peint suspendu à une potence fixée au mur, bois sculpté ou simple panneau décoré. Leur facture artisanale reste cependant leur dénominateur commun.

Une enseigne plus que singulière !

Toutefois, une enseigne intitulée Au Vieux Caporal se distingue tant par son aspect esthétique et sa réalisation soignée que par les nombreuses histoires dont elle est un témoin privilégié.

C'est Léopold Harzé (1831-1893) qui en est l'auteur ; il s'agit de sa seule enseigne et de la plus haute de ses pièces en terre cuite. Est-il encore nécessaire de vous présenter cet artiste plasticien qui sait modeler avec tant de finesse la vulgaire argile ? Grâce à son sens aigu de l'observation, il met en scène avec un naturel déconcertant les mœurs et les physionomies de ses contemporains. Le Musée de la Vie wallonne conserve une série de types populaires wallons – botteresse, cotîresse, lavandière, porteuse d'eau ou mendiant – et de groupes, modelés comme autant de petits tableaux naturalistes et expressifs de la vie quotidienne, fixés dans la terre.

Au Vieux Caporal a été réalisé en 1863 pour un magasin de tabac-cigares situé à l'angle des rues des Guillemins et de Serbie à Liège. Léopold Harzé campe un grognard de l'armée impériale à l'imposante moustache caractéristique. Vêtu d'une grande capote boutonnée et d'un baudrier, il porte le bonnet de police sur l'oreille et tient une pipe en terre à la main. Par un jeu de mots facile, le terme "caporal" désigne également un tabac brun à fumer, de goût français, composé de feuilles séchées à l'air et fermentées puis torréfiées. Le tabac « caporal » était à l'origine celui qui était distribué aux caporaux ; il était de bien meilleure qualité que celui réservé à la troupe. Au Vieux Caporal, conçu en terre cuite, fragile par nature, nous laisse supposer qu'il était probablement exposé en vitrine, à l'abri des variations climatiques. Tel doit être également le cas d'une autre enseigne, réalisée pour le même magasin de tabac, conservée au musée. Il s'agit cette fois d'une peinture sur toile représentant une variation du même sujet : un grognard en uniforme, posant devant un paysage incendié.

Un sponsor d'une certaine renommée !

Le commanditaire de ces enseignes, le négociant en tabac-cigares, n'est pas non plus un inconnu à Liège! Victor Raskin (1837-1897) exerce aussi ses talents d'acteur et de directeur de troupe pour le théâtre dialectal. C'est lui qui crée sur la scène du Casino Grétry, le 10 octobre 1885, le rôle de Lårgosse, tambour-major de la garde civique, dans la célèbre pièce Tåtî l'pèriquî du dramaturge liégeois Édouard Remouchamps (1836-1900).

Le succès est au rendez-vous ! Cette comédie en trois actes et en vers – Gauthier le perruquier en français – dépeint un type intemporel : le « richard imaginaire » ! C'est la troupe de Victor Raskin, déjà baptisée Théâtre Wallon, la meilleure de l'époque, qui assure le rayonnement de l'ouvrage et la renaissance du théâtre dialectal en jouant la pièce dans toute la Wallonie, à Bruxelles et même à Paris ! La « Tåtîmania », la réclame commerciale, déferle dans les échoppes : chicorée, savon, cigarettes arborent le titre de la pièce et même un cigare portant le nom de Lårgosse est mis en vente... dans le magasin de Victor Raskin!

Pour commémorer les cinquante ans de vie théâtrale de Victor Raskin, une tête de pipe à son effigie est produite par la fabrique familiale Nihoul (1825-1915), installée dans la région de Nimy. Elle est réalisée à 500 exemplaires, en terre blanche et en deux formats et vendue au profit de l'œuvre philanthropique L'Union des Artistes.

Après la mort de Victor Raskin, l'enseigne Au Vieux Caporal prend place dans une collection privée. À la demande du Musée de la Vie wallonne, la Ville de Liège essaye de l'acquérir mais le propriétaire, M. Van Misiel, en réclame 3.000 francs ! Il refuse même que le musée en réalise un moulage mais il accepte qu'on la photographie en 1918. Afin de pérenniser les enseignes, il était de coutume au musée, de produire une copie de la pièce et de la mettre en place sur la façade de l'immeuble originel.

C'est en 1928 que la Ville de Liège parvient à acheter l'enseigne Au Vieux Caporal, œuvre unique de Léopold Harzé, pour la somme de 1.500 francs. Elle rejoint au Musée de la Vie wallonne le célèbre groupe Le Marché, acquis également par les autorités communales en 1859 au prix de 1.000 francs, à l'issue de la première exposition de l'artiste à la Société d'Émulation de Liège.

N.d.R. - Collaboratrice Département Objets-Réserves (œuvres d'art)

------

Légendes :

  1. Léopold Harzé, Au Vieux Caporal, enseigne, terre cuite sur socle en bois, 1863, 76 cm.
  2. Léopold Harzé, Au Vieux Caporal, enseigne, terre cuite sur socle en bois, 1863, (détail).
  3. F. Caby, tableau ayant servi également d'enseigne pour le commerce de tabac de Victor Raskin situé au coin de la rue des Guillemins et de la rue de Serbie à Liège, 19e siècle, 140x80 cm.
  4. Caisse à cigares de la marque LårgossedelTåtî, décorée du portrait de Victor Raskin et de la troupe de la pièce d'Édouard Remouchamps Tåtî l'pèriquî, vers 1886.
  5. Caisse à cigares de la marque LårgossedelTåtî, décorée du portrait de Victor Raskin et de la troupe de la pièce d'Édouard Remouchamps Tåtî l'pèriquî, vers 1886, (détail).
  6. Étiquette pour la boisson TåtîBitter, fabriquée par la distillerie du Beau Mur, en référence à la pièce d'Édouard Remouchamps Tåtî l'pèriquî, vers 1886, 16x8,5 cm.
  7. Étiquette pour la chicorée Tåtî l'pèriquî, fabriquée par la marque gantoise F. C. Jacobs, en référence à la pièce d'Édouard Remouchamps, vers 1886, 14,5x7 cm.
  8. Menu en wallon du vingt-huitième banquet de la Société de langue et de littérature wallonnes, représentant les tréteaux du Théâtre wallon de Victor Raskin et ceux du Théâtre des Auteurs wallons d'Alphonse Tilkin, 1894.
  9. Menu en wallon du trentième banquet de la Société liégeoise de littérature wallonne mettant à l'honneur Victor Raskin, 1898.
  10. Tête de pipe représentant Victor Raskin, fabrique Nihoul à Nimy, fin 19e siècle.
  11. Léopold Harzé, Le Marché, terre cuite, 1859, 57×215×87 cm.
1
2
3
4
5
6
7
8
9
10
11


Tous les focus